Court extrait du livre « De chair et d’âme » de Boris Cyrulnik « Psychanalyste et Ecrivain français »
« L’empreinte affective a inscrit dans notre mémoire le goût que l’on donne au monde. Quand notre enveloppe affective nous a sécurisé lors des interactions précoces, le goût du monde est léger, agréable et parfumé. C’est donc une enveloppe sensorielle partagée qui s’amorce dans un processus de complicité, bienveillant. Une enveloppe commune où chacun s’intéresse à l’autre et joue à se découvrir. On peut donc considérer que le point de départ du processus empathique est déclenché par le phénomène des neurones-miroirs. Nos neurones-miroirs entrent en résonance avec les gestes de l’autre qui nous touche.
L’empathie cette aptitude émotionnelle, n’est pas seulement une opération intellectuelle, elle mue et se développe progressivement lors de transactions incessantes à l’âge précoce. Quand il n’y a pas eu de différenciation entre soi et l’autre, parce qu’il n’y a pas d’autre, parce que le sujet est fusionnel, il n’y a pas de place pour l’empathie. Son développement empêché centre le sujet sur lui-même ou au contraire le décentre vers l’autre comme une hémorragie narcissique.
Quand l’autre est trop loin de notre centre ou quand il appartient à un groupe différent qui ne nous touche pas on ne peut établir de compassion. Ce qui prête à dire que certains humains au lieu d’accompagner le malheur s’attarde à s’en amuser, à s’en jouir voire les mépriser. Le processus de projection devient alors inévitable et peut-être même adaptif dans un désert affectif. L’empathie qui mène au souci de l’autre peut prendre des formes différentes…
Dans la compassion empathique, on peut entendre les maux d’autrui, partager les mots et se focaliser sur une écoute bienveillante. Le simple fait de s’attarder un cours instant sur le parcours de l’autre et d’être dans l’empathie nous engage dans un travail de décentrement de soi.
Se représenter dans notre psychique l’expression de la souffrance de l’un, provoque la réaction empathique de soi.
Une rencontre intéressante se produit et prend des directions variées… »
Extrait « De chair et d’âme » de Boris Cyrulnik
Une pensée sans affect…
Le plus beau des voyages pour tisser un nouveau lien avec le monde, c’est celui de la connaissance.
Serge Tisseron, Psychanalyste cite…
« Chez l’homme…le principal obstacle à l’empathie, c’est-à-dire dans son double aspect cognitif et relationnel, réside dans son formidable désir de main mise sur son environnement et dans l’angoisse qui en résulte par peur d’être envahi et manipulé par les émotions d’autrui… ».
L’amour a besoin d’un ancrage, c’est un courant qui passe « au-delà du désir charnel » entre le premier regard et le premier échange. Dès lors où le partage se calque sous cette douloureuse constatation qu’est la négation, ce désir se change en une fièvre brûlante qui galope dans la nuit agitée « séduction-manipulation-domination-emprise…». Les couleurs se diluent, le décor s’efface pour laisser place à ce vent de panique « angoisse-dépendance affective-confrontation-soumission…» qui dans sa course effrénée va percuter de plein fouet les fibres les plus profondes de l’être humain. La répétition de la relation du premier jour se remet alors en scène.
Ce n’est qu’en retournant sur nos pas « l’autre vécu comme un envahisseur » en ayant recours à la parole lorsque les mots s’imposent, en regardant à l’intérieur de soi, en découvrant ces pièces condamnées, cet entrepôt qui constitue le socle de notre identité, que nous pouvons poser un tout autre regard sur notre histoire.
Prendre conscience des sensations, des émotions et des compréhensions nouvelles, c’est enfin tenter l’aventure de sa vie.
La présence de l’autre…
Prétendre que l’empathie est un signe de faiblesse, c’est crier haut et fort sa détresse. Celui chez qui le dialogue émotionnel a été brisé « ultime refuge et gage d’authenticité » en est réduit à des émotions de contrôle, de commande, le passé à juste titre est considérablement réactualisé.
L’empathie est une capacité d’accueille centrée sur la communication, elle participe à l’observation. Au sein d’une relation elle laisse place à la compassion qui témoigne de ce bien inné. Dans ce mouvement nous n’élaborons pas un projet de ce vers quoi…le quant à soi se doit de préserver, mais nous sommes tournés à nouer tout simplement une relation qui nous porte vers une ouverture au service d’une vérité.
Etre dans l’empathie c’est avant tout accorder à autrui une place digne d’intérêt.
L’empathie reste un processus qui s’installe dans la durée où son développement ne s’inscrit pas dans une démonstration stérile, confuse « forme subtile de manipulation, bavardage mental » voire muette mais dans un climat de confiance où règne une communication équilibrée. Une atmosphère particulière « intelligente-bienveillante » d’où une certaine prudence nécessaire pour ne pas se laisser envahir par les maux d’autrui « le respect de l’autre passe également par le respect de soi ».
Etre dans l’empathie…
C’est vivre ses valeurs.
C’est enrichir et nourrir cet espace intérieur, « l’élégance doit rester secrète » ce flux d’énergie où tout se joue et se rejoue.
L’empathie « un paravent pour les maux » qui active une dynamique de dépassement permet de se redresser contre vents et marées. C’est un sentiment qui nous embarque dans une ouverture envers autrui sans avoir à conjuguer avec les non dits.
Etre dans le ressenti…
C’est parvenir à établir une communication dans la relation basée sur le respect, la loyauté, la sincérité « un duo qui fait écho ».
C’est honorer l’autre dans ce qu’il détient de plus précieux, ce bien réel voire cette différence « une écoute à la souffrance » qui implique une connaissance de droits accordés à l’essence même « identité » de l’esprit humain.
C’est bien Saint-Exupéry qui défini !
« Aimer ce n’est pas se regarder l’un l’autre, mais regarder ensemble dans la même direction
À voix basse…
Notre corps reste un lieu hautement sollicité pour la souffrance psychologique. Cette communication subtile et invisible qui émane du corps en tant que tension et douleur laisse entrevoir un langage qui n’est autre qu’une mise en garde de cette incapacité à reconsidérer son existence.
La souffrance plonge dans la détresse lorsqu’elle n’est pas reconnue « angoisse-blessure d’abandon-dépendance affective-carence affective-répétition-toxicité du lien-manipulation… ». La verbaliser lorsqu’elle nous étreint, c’est laisser venir à soi ce moment de réflexion, un privilège car sans, ce quand dira-t-on, en quelque sorte un très haut degré de compréhension et d’estime de soi que l’on se doit de s’accorder.
La souffrance existe dans l’obscurité, l’entendre et la respecter c’est briser les chaînes du passé, c’est cesser de répéter des situations qui nous emprisonnement dans un profond désarroi mais c’est avant tout regagner une dignité perdue.
« Deux faiblesses qui s’appuient l’une sur l’autre produiront ensemble, une force »
Léonard DE VINCI